"La Grande bibliothèque d'Alexandrie"
- Historiantiqua
- 25 janv. 2021
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Dernière mise à jour : 6 janv. 2022
L’Egypte est un pays d’une grande beauté et qui regorge de monuments plus grandioses les uns que les autres. La capitale du royaume au IVème siècle av. J.-C est Alexandrie, ville fondée par Alexandre le Grand entre 332 et 331 av. J.-C. Pour les géographes, cette ville est la ville antique la plus moderne au niveau de l’urbanisation. La ville devient rapidement un grand centre de commerce méditerranéen qui accueille une population hétéroclite qui se compose de Grecs, Egyptiens, Juifs et enfin un peu plus tardivement de Romains, en tout on peut penser que la ville a environ un million d’habitant à l’époque hellénistique. Dans ce royaume, nous avons beaucoup de monuments tel que le phare, la vallée des rois ou encore la grande bibliothèque d’Alexandrie. Cette bibliothèque représente énormément pour l’époque, c’est encore plus qu’une institution et qu’une collection de manuscrit, elle est l’emblème de la culture qui s’accroit et qui va durer pendant des siècles.

L'empire d'Alexandre et son partage, Archive Larousse.
Le rêve aristotélicien : Un lieu de savoir
Alexandre le Grand le fondateur de la ville meurt en 323 av.J.-C. Le grand empire que celui – ci avait construit est réparti auprès de ses quatre généraux, comme on peut le constater sur la carte ci-dessus. L’Egypte et une partie de la Cappadoce revient à Ptolémée Sôter Ier qui démarre la dynastie Lagide qui règne jusqu’à 30 av.J.-C. Ptolémée fait d’Alexandrie la capitale de son royaume et la décision de créer une bibliothèque dans cette ville date du IIIème siècle av.J.-C. Deux personnes sont à l’initiative de cette grande structure, Ptolémée Ier et Démétrios de Phalère, son conseiller.


A droite : Buste de Ptolémée I, British Museum.
A Gauche : Statue fictive de Démétrios de Phalère d'époque contemporaine (Alexandrie, Bibliotheca Alexandrina).
Démétrios de Phalère est né aux alentours de 360 – 350 av.J.-C, il a dirigé Athènes pendant une dizaine d’années avant d’être obligé de fuir et de trouver refuge à Thèbes pour finir ensuite à Alexandrie en 298 – 297 av.J.-C. Démétrios parvint à convaincre Ptolémée Ier de construire une bibliothèque vers environ 295 av.J.-C. Ptolémée quant à lui était un compagnon et général d’Alexandre comme nous l’avons dit plus haut, nous ne savons pas s’il a partagé son éducation mais en tout cas nous savons qu’il est plutôt aristotélicien. Par la suite, tous les successeurs de Ptolémée ont contribué à agrandir ou enrichir la bibliothèque. Au départ, le terme « Bibliothèque » désigne un « placard à livres », c’est à partir d’Aristote et des Ptolémées que la bibliothèque est devenue un endroit d’étude incontournable pour tous les savants de l’époque. Jusqu’ici l’écriture n’est pas très répandue, c’était les paroles qui répandaient l’histoire tout en la transformant. Les livres sont devenus une source très importante pour la mémoire et la culture intellectuelle, c’est pourquoi les bibliothèques sont devenues d’une grande importance.
Au départ, la bibliothèque d’Alexandrie est celle du roi, elle se situe à l’intérieure du palais et c’est le prince qui installe le bibliothécaire à sa fonction, souvent d’ailleurs celui-ci était le précepteur du prince héritier. Puis celle-ci se déplace mais toujours dans le quartier du palais car ils ont relié la bibliothèque avec le musée. Plus tard a été crée la bibliothèque fille qui était pour le public tout en faisant partie de la grande bibliothèque, elle ne se situe pas dans le quartier du palais et était ouverte à tous ceux qui voulait apprendre. Cette nouvelle forme d’ouverture sur le peuple apparait un demi-siècle après la création de la grande bibliothèque.

Plan d'Alexandrie du IIIème au IIème siècles avant.J.-C.
La chasse aux ouvrages
Dans l’antiquité, seuls quelques privilégiés étaient assez instruits pour avoir l’utilité d’une bibliothèque, il s’agissait notamment des historiens et des Scribes. Jusqu’à Platon, on disait que le livre servait à laisser une trace de l’histoire qui était jusque-là racontée. D’autres ne sont pas forcément en accord avec cette nouvelle façon de faire et s’en méfie même comme Socrate par exemple.
La première étape pour entamer une collection est de trouver de quoi la remplir, Ptolémée Ier écrivit donc à tous les rois et gouverneurs en leur demandant de lui faire parvenir tous leurs écrits en vue de la constitution d’une « banque de donnée » de toutes les œuvres connues à ce jour. La deuxième façon qui était utilisée pour récupérer des livres était de les prendre sur les navires qui accostaient dans le port d’Alexandrie, les douaniers avaient pour rôle de saisir tous les livres et de les amener dans les ateliers de copistes qui avaient rapidement complétée la bibliothèque. Ensuite les copies étaient récupérées par les propriétaires tandis que les originaux étaient conservés dans les rayons de la bibliothèque. Le but premier de cette grande innovation qu’était la bibliothèque était :
« Acheter ou transcrire tout ce qui se publie dans le monde entier » (Lettre d’Aristée, II,9).
Très rapidement les rayons comptèrent beaucoup de rouleaux mais pas encore suffisamment d’après Démétrios de Phalère qui avait pour objectif de collectionner plus de 500 000 rouleaux. De grandes prouesses ont été réalisé comme par exemple le premier catalogue raisonné de la bibliothèque qui fut si grand qu’il a fallut 120 rouleaux et qui a été créer par Callimaque un des nombreux bibliothécaires que ce monument a eu. Parmi les autres bibliothécaire connus il y a eu Zénodote d’Ephèse, Apollonios de Rhodes ou encore Eratosthène de Cyrène.

Organisation des parchemins dans la bibliothèque d'Alexandrie, Gravure de O.Von Corven, la grande bibliothèque d'Alexandrie, XIXème siècle
Le fait de réunir autant de livre en un même lieux ont permis la venue de savants dans la ville qui avait comme travail de vérifier l’authenticité des manuscrits et de réviser le travail des copistes. Leurs travaux nous sont parvenus pour certains comme par exemple pour les Histoires d’Hérodote, c’est à ces savants que l’on doit le découpage de ce récit en livres, ou encore la division en Chants de Homère. Ils ont également créé les premières grammaires et lexiques de mots rares. Tout ceci était de grandes innovations pour l’époque mais aussi un gros investissement et un énorme effort pour la conservation du patrimoine littéraire de la part des savants.
Les mutations de la grande bibliothèque d'Alexandrie
Alexandrie est une ville très cosmopolite qui mêle beaucoup de différentes communautés mais celles-ci devaient tout de même rester jusque-là des communautés hellénistiques. Une grande innovation se passa car jusqu’ici seuls les livres grecs étaient accepté dans la bibliothèque et puis cette mutation s’est produite et la bibliothèque autorise donc de nouveaux ouvrages qui ne sont pas grec à intégrer les rayons.
« On m’a fait savoir qu’il y aurait aussi les lois des Juifs qui mériteraient d’être transcrites et de faire partie de la bibliothèque » Démétrios de Phalère.
La bibliothèque contient donc à partir de ce moment-là des textes indiens et romains par exemple. Un autre exemple est celui de la traduction de la Torah par environ soixante-dix sages qui connaissait autant l’hébreux que le Grec. Cette évolution a été très longue, mais le choix d’Alexandrie n’est pas anodin, en effet, la ville est au centre d’un emplacement stratégique. Cette ville est au carrefour routier et maritime qui permet d’obtenir des connaissances de partout autour de la mer Méditerranée. C’est avec cet immense choix de livre de pleins d’horizons différents que l’on dit de la bibliothèque d’Alexandrie qu’elle était universelle.

Représentation de la bibliothèque d'Alexandrie, Wikimedia Commons
Les historiens ont émis le fait que la bibliothèque aurait brûlé face à César en 47 av.J.-C, en fait ce qui brûla c’est un dépôt de livre situé sur le port. En 31 av.J.-C, l’Egypte est annexé par Auguste supprimant ainsi la dynastie des Ptolémées, à partir de là la ville d’Alexandrie n’est plus la capitale mais elle reste une grande ville favorisante encore et toujours la vie intellectuelle. Même sous l’emprise romaine, la bibliothèque et le musée n’ont pas cessé de fonctionner mais en revanche elle était dirigée par un procurateur romain. La bibliothèque se dédouble et une annexe a été ouverte dans le Faubourg de Canope qui elle était destinée au public.
L’institution qu’est la bibliothèque commence à décliner sous l’empire car les grands centres d’enseignements s’étaient déplacés dans d’autres villes tel qu’Athènes, Rhodes, Antioche, Beyrouth et d’autres. Dans toutes ces villes on a vu se monter des bibliothèques à l’image de celle présente ici, se qui diminue son pouvoir. A partir du Ier siècle, le « Codex » a vu le jour, c’était un livre formé de cahiers reliés, ceci est le nouveau rouleau mais il ne devient aussi important voir plus que le rouleau qu’à partir du IVème siècle.
Les destructions de la bibliothèque
Plusieurs hypothèses ont été formulé sur la destruction de la bibliothèque, la plus vieille destruction selon les nombreuses légendes est celle de 47 av.J.-C mais nous avons dit plus haut que c’était en fait le port qui avait brûlé. La bibliothèque a subi plusieurs pertes et destructions sous César, Aurélien ou Dioclétien par exemple mais toujours partielles. Le fait que l’on ne sache pas vraiment quand exactement la bibliothèque a été détruite c’est parce que nous n’avons pas de textes complets qui nous soit parvenu pour garantir la véracité des hypothèses proposées. Cette institution avait mis assez longtemps à se construire et à prospérer et au IVème siècle ap.J.-C nous avons encore des textes qui exprime le fait que la bibliothèque est encore en plein essor. La première institution à prendre feu fut celle du "Sérapeum" qui emporta la bibliothèque fille et celle-ci ne se reformera pas à cause du conflit entre paganisme et christianisme.

Les ruines du Serapeum, bibliothèque fille de la grande bibliothèque d'Alexandrie.
Une autre hypothèse serait celle de la conquête Arabe, des historiens comme Ibn al kifti (1172 – 1248) et Abd al-Latîf al-Baghdâdî ont attribué la destruction de la bibliothèque au calife Omar Ibn al-Khattâb qui aurait ordonné à son général Ibn al-As d’exécuter ses ordres en 642.
Les premières légendes de cet évènement datent de plus de six siècles après le moment de la destruction comme exemple, nous avons :
Abd al Latif, « La bibliothèque que brula ‘Amrou ibn al ‘Asi avec la permission de ‘Oumar », Le Caire, 1203.
Ibn al-Kifti, « Histoire des Savants », 1227
Mais que sont devenus les ouvrages ? D’après les sources que nous avons on peut penser qu’elles ont été détruites, seuls les œuvres d’Aristote aurait été épargnée. La plupart des livres ont été jetés à l’eau et d’autres ont servi de combustibles pour chauffer 4 000 des établissements de bain de la ville durant environ six mois.
« Pour les livres dont tu nous as parlé, s'il s'y trouve quelque chose qui soit conforme au Livre de Dieu (le Coran), le livre de Dieu nous permet de nous en passer ; s'il s'y trouve quelque chose qui soit contraire, ils sont sans utilité ; procède donc à leur destruction. » Calife Omar.
« Jette-les à l'eau. Si leur contenu indique la bonne voie, Dieu nous a donné une direction meilleure. S'il indique la voie de l'égarement, Dieu nous en a préservés. » Ibn Khaldûn, Le Livre des Exemples, T. I, Muqaddima VI, texte traduit et annoté par Abdesselam Cheddadi, Gallimard, novembre 2002, p. 944.
La plus jeune hypothèse de la destruction se serait produite en 868 par la conquête Turc, sous Achmet. Cette hypothèse est énoncée par Sprengel qui pense que la bibliothèque fut reconstruite après la conquête arabe et à nouveau détruite par la conquête turque.
Toutes ces hypothèses ont le point commun que la bibliothèque a été détruite par le feu car celui-ci est un symbole d’apothéose et d’anéantissement et fut plusieurs fois utilisé dans l’histoire et à différentes époques comme pour la condamnation des hérétiques ou la fin de la cité de Troie.
Avec toutes ces hypothèses il y a l’embarra du choix et nous ne savons toujours laquelle est la vrai, même si d’après les historiens d’aujourd‘hui une hypothèse est plus retenue que les autres: La conquête arabe de 642.
« Malgré les limites des sources, les historiens estiment en effet généralement qu’Alexandrie fut détruite lors des invasions arabes du VIIème siècle sur ordre du calife Omar » Martine Poulain dans sa recension.
Mais bien entendu ce sujet et encore aujourd’hui source de questionnement et d’interrogation, cependant à moins de trouver des sources fiables pour fixer la destruction de la bibliothèque cela restera une hypothèse.
Pour aller plus loin :
Un petit podcast de Europe 1 intitulé "L'étonnante histoire de la bibliothèque d'Alexandrie"
Sources :
Jean Sirinelli, « Un regard sur la Bibliothèque d’Alexandrie » dans Entre Egypte et Grèce. Actes du 5ème colloque de la villa Kérylos, Paris, 1995, P 82-93.
Paul Casanova « L’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie par les Arabes » dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles – lettres, 67ème année, N°2, 1923, P 163 – 171.
Maurice Sartre « Le rêve fou de la bibliothèque d’Alexandrie » dans L’histoire, Mensuel 265, mai 2002.
« Les bibliothèques ont une patrie : Alexandrie » dans L’histoire, Mensuel 116, Novembre 1988.
André Bernard « La splendeur d’Alexandrie » dans L’histoire, Mensuel 221, Mai 1998
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